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Les tournées du Préfet Gamot (4)

15 Avril 2009, 07:57am

Publié par Webmaster

Le compte-rendu des journées du préfet Gamot (série M des Archives départementales de la Lozère) a été en partie publié de 1950 à 1956, dans plusieurs numéros du Bulletin de la Société des Lettres. Le Centre d'études et de recherches a estimé qu'il était utile de le publier intégralement en une seule publication qui forme le Mémoire n 2 du CER (Un classement provisoire de cette série M avait d'abord fait penser que le baron Florens, deuxième préfet de la Lozère, était l'auteur de ce rapport. Or il fut remplacé à la tête du département le 12 mars 1813 par le « sieur (jamot, administrateur des Droits réunis » qui fut installé le 19 avril 1813. C'est donc ce dernier qui est l'auteur de ce document. (Cf. Notre article « Les Préfets de la Lozère ss, Bulletin du CER, n 3)..

Benjamin BARDY


IVe journée


Le Pompidou.



- Le Pompidou est un joli village d'une quarantaine de maisons bâties sur les deux côtés de la route. Il n'est pas abrité du côté du nord et comme il est situé dans la partie élevée de l'espèce de bassin qui renferme les Cévennes, le climat y est extraordinairement très âpre. Sa position au pied du Causse de l'Hospitalet et à cinq heures de chemin de St-Jean-du-Gard, en a fait un lieu de station pour les voyageurs. On y trouve deux grandes auberges assez bonnes.


Ecole secondaire.

- Il y a aussi une école secondaire tenue par un ancien oratorien qui m'a paru être un homme de bon sens. Il s'est plaint à moi des droits que lui faisait payer l'Université qui ne sont point en rapport avec le peu de fortune des habitants du païs et la médiocre rétribution qu'ils donnent à ceux qui élèvent leurs enfants. Au reste, une école secondaire est fort rare dans la Lozère. Celle dont je parle n'a que 8 ou 10 élèves et trois qui apprennent le latin. Il me semble que ce n'est pas d'une bonne politique d'exiger des droits sur l'éducation dans un pays qui s'y refuse obstinément. Peut-être devrait-on au contraire accorder des primes à ceux qui se livrent à cette pénible occupation dans ce département qui n'a rien de commun avec ceux de l'intérieur de la France.


Cultes.






- Le culte est dans ce village, comme dans toutes les Cévennes, plutôt protestant que catholique.





Au reste, il n'y a point de querelles entre les deux religions et la tolérance fait régner entre elles la plus parfaite harmonie. Peut-être faudrait-il dire l'insouciance, car j'ai remarqué que dans les pays où il y a plusieurs cultes le zèle des fidèles est beaucoup moindre.







Du Pompidou à la côte de St-Jean-du-Gard.


-Nous avons quitté Le Pompidou à 5 heures du matin et marchant vers l'est nous avons d'abord rencontré une petite auberge qu'on appelle « Malataverne », parce qu'elle est située dans un lieu difficile à passer dans l'hyver. C'est une espèce d'enfoncement exposé aux vents du nord et nord-est où les neiges s'amoncellent et où le froid doit être fort rigoureux.



De Malataverne nous sommes allés à St-Roman, petit village d'une trentaine de maisons. On y élève quelques vers à soie. De St-Roman nous sommes parvenus à la côte de St-Jean.






On estime qu'il faut quatre heures pour aller du Pompidou à la côte de St-Jean. Toute cette partie de route est dans un état déplorable. Elle est cependant tracée sur une ligne presque horizontale, mais les schistes dont on a voulu se servir pour les empierrements ne font point un ouvrage solide. Facilement broyés par le roulage, ensuite délayés par les pluies d'hyver, ils n'offrent que des chemins boueux où les roues s'enfoncent jusqu'aux moyeux. On ne croyait pas depuis longtemps rendre cette route praticable, mais en parcourant les lieux environnants on a trouvé dans presque toute la longueur du chemin des bancs de quartz, dont quelques uns sont brisés et qui, mis en oeuvre, feront des empierrements très fermes et très durables.

Déjà l'on a fait quelques essais qui ont parfaitement réussi et l'on doit espérer de voir d'ici à un an cette partie de route dans un état satisfaisant. On croit que le mètre cube de quartz rendu sur le bord de la route et en l'état d'être employé ne coûtera pas plus de 1fr. 50.

La sortie du département de la Lozère de St-Jean est plus hideuse que son entrée du côté du Gard. Son entrée offre à la vue de grandes roches granitiques entassées les unes sur les autres, parsemées ça et là au milieu des champs. On s'aperçoit qu'on marche dans le païs des montagnes primitives ; ici ce sont d'énormes schistes qui se projettent jusque sur la route à une hauteur considérable et semblent faire présager au voyageur les difficultés qu'il doit rencontrer dans un païs dont les portes sont aussi menaçantes.

Descente à St-Jean.

- La côte de St-Jean étant renommée pour sa coupe et son bon entretien, j'ai voulu la parcourir. Elle est effectivement très belle et très bien entretenue et surtout très longue, puisqu'il faut une heure pour la descendre et une heure et demie pour la remonter. Elle est taillée sur le flanc d'une montagne entièrement schisteuse. Son empierrement est fait avec du schiste, mais d'une espèce plus compacte et plus dure. Il est mêlé d'un peu de calcaire et de quartz, ce qui le rendra plus solide pour l'usage qu'on en fait. Cette côte est extrêmement dangereuse par les précipices dont elle est bordée. Il n'y a aucun parapet, aucune pierre de défense, de sorte que si les muletiers ou charretiers manquent d'attention ils s'exposent à tomber et la chute est toujours suivie de la mort. Ces accidents sont malheureusement assez fréquents le chemin est cependant large de 20 à 25 pieds.















J'ai vu la petite ville de St-Jean et j'en ai visité toutes les fabriques de soie, les machines à vapeur qui servent à chauffer les chaudières dans lesquelles on plonge les cocons pour les dévider plus facilement. Mais il ne m'appartient pas de parler à V.E. de l'industrie de cette ville et des observations qu'elle m'a fournies, je laisse ce soin à mon collègue du département du Gard.




Retour dans la Lozère.

 - Rentré dans la Lozère, je me suis arrêté un instant à St-Romans. Les vers à soie n'avaient point encore terminé leur travail, tandis qu'à St-Jean les cocons étaient récoltés depuis longtemps. Je suis entré dans une chambre où les vers n'étaient pas même montés dans les bruyères. Ce retard provient de la différence de climat et peut-être ne parviendrait-on pas à récolter de la soie à SaintRoman si l'on n'avait la précaution de tenir continuellement du feu dans les chambres où les vers sont élevés.

On calcule de la manière suivante la dépense qu'occasionne la récolte des cocons. Un tiers du produit est donné à la personne qui en prend soin. Un tiers est destiné à payer la dépense des feuilles de mûrier, le troisième tiers revient au propriétaire. Ce partage se fait en nature. Sur cent livres de cocons le propriétaire en reçoit que 33 1/3. Une chambrée ordinaire produit un quintal de 14 onces à la livre Lorsque j'ai passé à St-Jean, les cocons valaient 26 sols la livre. On éprouve 90 3/4 de perte. Ce qui établit la soie de 13 à 14 fr. la livre en écru, toujours poids de 14 onces. La feuille de mûrier avait valu 8 fr. le quintal. Il y a beaucoup de personnes qui vendent des feuilles sans élever des vers à soie. La récolte des cocons a été cette année très avantageuse. Nous sommes revenus le même jour coucher au Pompidou.

Du Pompidou à Mende.










- Le lendemain matin nous avons quitté Le Pompidou à neuf heures et après avoir remonté la côte dont j'ai parlé, nous avons parcouru le Causse de l'Hospitalet.

J'ai parle au métayer qui, par suite de querelles avec les commis des droits réunis, avait fermé son cabaret. Je lui ai dit que je voulais qu'il l'ouvrit de nouveau, que je lui ferais avoir un abonnement qui le mettrait à l'abri de toutes querelles à l'avenir. Il y a consenti. Par ce moyen, les voyageurs vont retrouver un asile sur ce passage dangereux.




La sortie, située à l'ouest du Causse de l'Hospitalet, est absolument infertile et couverte de pierres calcaires. Il y a une heure de chemin depuis la ferme jusqu'au haut de la côte de St-Laurent-de-Trèves par laquelle on descend du causse. Cette côte est coupée sur une très bonne ligne, mais sujette à des éboulements très dangereux et dispendieux par les déblais qu'ils nécessitent. Il y a deux ans qu'il se détacha de cette côte une roche qui roula sur un village voisin et qui en , écrasant une maison et quatre personnes qui s'y trouvaient renfermées. Il faut une heure pour descendre la côte de St-Laurent. On rencontre en bas la vallée du Tarnon et en trois quarts d'heure on parvient à Florac. J'ai fait une seconde visite à tous les établissements de cette ville et le lendemain 26, après cinq heures de marche, je suis arrivé à Mende.

Esprit public de l'arrondissement de Florac.

– Un peuple pauvre et dont la plus grande partie ne sait pas lire n'a pas une politique bien compliquée. Il sait qu'il faut payer l' impôt, il s'y soumet. La conscription lui déplait, mais comme je l'ai déjà dit à Votre Excellence, les Cévennes se rendent volontiers sous les drapeaux. Les ministres catholiques et protestants ont sur leurs paroissiens l'influence que leur donne leur éducation et la confiance qu'ils inspirent. C'est particulièrement cette classe qu'il faut faire en sorte de gouverner et c'est à quoi je m'applique par de bons procédés et surtout en leur répétant que c'est à l'empereur qu'ils doivent leur réexistence. Tant que les fonctionnaires publics et les ministres des cultes marcheront comme dans ce département, V. E. doit être parfaitement tranquille sur les événements. Au reste dans la tournée que je viens de faire, j'ai vu régner partout la plus grande tranquillité et la soumission la plus absolue.

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